La cryolipolyse : nouveauté et contreversée

  • Du côté professionnel
  • 08 Octobre 2018
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Le rôle des esthéticiennes face aux sirènes de la presse : la cryolipolyse

Ou « cryo » de son diminutif. Tout le monde en parle, toutes les clientes la réclament car elles voient divers articles dans les journaux. Beaucoup d’articles dithyrambiques. Même Wikipédia lui consacre un article. Mais Est-ce vraiment la solution miracle pour atteindre la minceur que nous souhaitons ? Devons-nous forcément suivre les préconisations de la presse plus ou moins spécialisée et les envies de nos clientes ? Quel est notre rôle et notre responsabilité envers nos clientes ?

Un rapport d’évaluation technologique a été publié par la Haute Autorité de la Santé (HAS) le 19 juillet 2018 sur la dangerosité de la technique. L’objectif de ce rapport était « d’évaluer les complications de l’acte de cryolipolyse à visée esthétique, technique externe de lipolyse basée sur le froid, utilisée localement sur des zones d’accumulation en bourrelets de graisse sous-cutanée (abdomen, cuisses, flancs, bras, sous-menton, pectoraux) ».

Rétrospective 

Avant de vous donner les conclusions de ce rapport, revenons un peu en arrière. Mon centre d’esthétique a toujours été spécialisé dans la minceur. Je l’ai créé pour apporter des réponses aux clientes qui se sentaient mal dans leur corps et du coup, se sentaient mal dans leur tête. Elles avaient des complexes et ressentait un mal-être. La philosophie grecque ne nous dit-elle pas d’avoir un esprit sain dans un corps sain ?

Bref j’ai utilisé diverses techniques minceurs. Je me suis toujours intéressée aux nouvelles technologies qui sortaient et je me suis aussi toujours arrangée pour les tester. Quand la technique de cryolipolyse est sortie, j’ai trouvé un fournisseur qui nous proposait une journée de découverte et de la technique et pour l’essayer. Car quand elle a commencé à être connue et plébiscité par les médias, toutes mes clientes m’en ont parlé. Elles me disaient quand est-ce que vous aurez cette nouvelle technique ?

C’est amusant qu’à chaque fois que la presse parle d’une nouvelle technique, comme d’un nouveau régime d’ailleurs, nous nous précipitons dessus en espérant qu’elle apportera la réponse et la solution à ce que nous n’avons pas encore pu résoudre. Bref, j’avais de plus en plus de demandes sur ces nouveaux appareils. Je me devais de me renseigner et de tester. Nous sommes des professionnelles de la minceur, je pense que, vis-à-vis de nos clientes, nous avons le devoir de comprendre le fonctionnement des machines que nous utilisons. Cela afin d’apporter nos soins en toute sécurité.

Expérimentation

Vint le jour de la journée découverte. Pour être exacte, c’était sous forme de deux jours où le fournisseur nous présentait toutes ces nouvelles technologies minceur et anti-âge et nous, esthéticiennes, pouvions toutes les tester. Le premier jour, je n’ai pas pu la tester car nous étions une trentaine et trop de monde voulait la tester. J’ai donc écouté avec grand intérêt, les explications et le mode d’emploi de la technique. J’avoue que j’aime apprendre et comprendre ces nouvelles techniques. Cela assouvit mon envie d’apprendre et me permet surtout d’être pleinement confiante dans les propositions de soins que je fais à mes clientes. Cette première journée fut d’autant plus enrichissante que je rencontrais des professionnelles fort compétentes. Ces rencontres permettent une confrontation d’idées et de pratiques exercées dans nos centres, ce qui est toujours profitables.

Le deuxième jour, je fais donc le pied de guerre pour avoir ma séance. Il est bien évident que quand nous avons listé les contre-indications, je me suis assurée de n’être pas dedans. On mesure mon petit bout de gras. Je suis dans la bonne fourchette, entre 3 et 7 cm de gras, donc je peux faire la séance. Cela ne fait jamais plaisir même à moi qui pratique sur les clientes. Mais oui, j’ai aussi besoin de séances. Le technicien qui m’installe est le formateur du fournisseur et non une personne lambda. Je suis en pleine confiance et cela a de l’importance pour la suite.

Me voilà allongée sur le dos avec deux ventouses sur le ventre, entourée d’une dizaine d’esthéticiennes qui souhaitaient voir le soin et mon ressenti. Ce qui est important selon moi, c’est que nous esthéticiennes, nous testons pour essayer de comprendre comment la cliente va ressentir le soin que nous proposerons dans nos instituts. Nous ne devrions jamais mettre en place un soin que nous n’avons jamais reçu . C’est important, car ainsi nous pouvons répondre à des angoisses ou des interrogations de nos clientes de par notre expérience.

Naturestudio / 123RF Banque d'images

Bref allongée, le formateur me « branche » sur la machine. Il me dit qu’il me met la plus haute température pour commencer. On est à presque zéro degré. La machine va bien plus bas en température si nous le désirons. Je ne suis pas rassurée comme à chaque fois que je teste quelque chose de nouveau. Mais étant curieuse et voulant peut-être investir dans cette machine afin de satisfaire la nouvelle demande de mes clientes, je suis impatiente de voir les effets. Confortablement installée, la séance commence. C’est froid. Cela aspire mes bourrelets. Et je discute avec les esthéticiennes autour de moi pour donner mes impressions, le mal ressenti, les sensations.

Quant au bout de 5 minutes, je deviens blanche et fais un malaise. Les personnes autour de moi appellent le formateur qui arrête tout de suite la machine et enlève les ventouses. Deux marques très rouges sont au niveau de mon ventre. J’ai mal et ne me sent vraiment pas bien. Le médecin esthétique qui a participé à la formation s’occupe de moi.

La journée se finit en étant vaseuse et ayant mal au ventre. Le lendemain, j’ai deux marques de brûlure bien distinctes au niveau des ventouses. Je suis brûlée au premier degré. 5 minutes de machine sur une séance qui aurait dû durer 50 minutes et où j’aurais dû être laissée seule dans une cabine. Je n’imagine pas les conséquences en faisant la séance entière.

J’appelle le fournisseur pour lui faire part de mon infortune et j’apprends qu’il s’agit d’un effet indésirable et que cela arrive à une personne sur 10 000. Donc il n’y a pas de quoi s’inquiéter. Mais si cela arrive dans mon institut, je dis quoi à la cliente ? Que ce n’est pas grave, cela arrive à une personne sur 10 000 et qu’elle a juste pas de chance ? Et si cette patiente est blessée, qui prend en charge ?

Informer et communiquer avec ses clientes  

Je commence alors à expliquer à mes clientes pourquoi je ne prendrai pas cette nouvelle technologie. Je dois me justifier car elles ont envie d’essayer cette nouveauté. Je dois défendre mon point de vue que cette technique est non sécurisée pour moi. D’ailleurs, viennent s’ajouter à mon argumentaire l’expérience d’une cliente auprès d’un médecin esthétique qui lui a fait des séances de cryolipolyse qui ont eu un effet tellement catastrophique qu’il lui offre une liposuccion pour « rattraper » les effets. Et une amie et collègue qui a déjà la technique dans son institut, va, malgré ses précautions, faire un hématome sous cutané à un de ses clients, hématome qui dure plusieurs semaines dans de grandes souffrances.

De toutes parts, sont relayés des problèmes ou des effets secondaires très douloureux et dangereux. Mais le pire c’est qu’on ne puisse pas définir lors du bilan, les personnes qui peuvent avoir des complications ou avoir des effets indésirables. Les contre-indications sont toutes liées au froid. La maladie de Raynaud en est une, l’allergie au froid, une autre. Pourtant dans tous les cas vus précédemment, aucun n’avait de contre-indications formelles à faire la technique. Ils ont eu « juste » pas de chance …

Conclusion du rapport de la HAS 

D’ailleurs la Haute Autorité de Santé conclut son rapport de la façon suivante : « En conséquence, sur la base des différentes données recueillies et analysées au cours de cette évaluation, en particulier les complications graves ou sévères (brûlure, hernie, hyperplasie paradoxale notamment), il peut être conclu que la pratique des actes de cryolipolyse présente une suspicion de danger grave pour la santé humaine en l’absence actuelle de mise en œuvre de mesures de protection de la santé des personnes, consistant au minimum, d’une part, à assurer un niveau homogène de sécurité et de qualité des appareils de cryolipolyse utilisés et, d’autre part, à prévoir une qualification et une formation du professionnel qui réalise cette technique. »

L'expérimentation une valeur sûre pour moins se tromper 

En d’autres termes cette technique, bien qu’ayant parfaitement fonctionné dans de très nombreux cas, n’est pas sécurisée pour une partie des clients. Le plus dur est de tenir tête à ses clientes et à leur envie de nouveauté. Des fois, il faut résister au diktat des médias, ne pas se précipiter pour amener de la nouveauté dans nos instituts. C’est à nous d’avoir une idée de ce que nous voulons proposer à nos clientes, de proposer nos soins en fonction de nos connaissances, des expériences de nos réseaux, et non pas en réaction au battage médiatique. Toujours avoir en tête de se renseigner, d’expérimenter et de ressentir ce que nous pouvons proposer à nos clientes. Ce que vante la rumeur populaire n’est pas forcément la meilleure chose qui soit. Dans le cas de la cryolipolyse, a posteriori, même la Haute Autorité de la Santé tire le signal d’alarme.

Il ne faut donc pas hésiter à remettre en question ce qu'on nous propose. Et suivre son intuition basée sur de l'expérimentation est important. L'esthéticienne a l'expérience du terrain. Elle est la plus à même de savoit ce qui est bon pour sa clientèle. Il lui suffit surtout d'avoir plus confiance en elle et ses jugements plutôt que de suivre ce qu'on peut dire dans les médias. Nos investissements et notre carte de soins doivent être à notre image et à ce qu'on ressent au fond de nous-mêmes.